La boucle énergétique, une solution d’avenir
Afin d’assurer le chauffage et la climatisation des locaux, bon nombre de bâtiments existants ou de nouvelles constructions utilisent un système de distribution de chaleur et refroidissement à l’eau. Jusqu’à tout récemment, ces boucles d’eau ainsi que la production d’énergie (climatisation et chauffage) étaient individualisées à l’échelle d’un bâtiment. Aujourd’hui, elles s’étendent à plusieurs bâtiments. On parle alors de boucles énergétiques.
Qu’est-ce qu’une boucle énergétique?
Une boucle énergétique peut être observée :
- à l’intérieur même d’un bâtiment afin de relier plusieurs sections de vocations diverses;
- entre quelques bâtiments d’un même lot cadastral;
- ou parfois être étendue à plusieurs bâtiments d’un quartier, qui s’alimentent entre eux via la boucle énergétique :
- Celui qui a besoin de chaleur va la prélever dans la boucle, la refroidissant;
- Celui qui a besoin de froid évacue sa chaleur dans la boucle, la réchauffant.
- Ainsi, en hiver, on profitera par exemple de la chaleur dégagée par un bâtiment commercial, industriel ou d’un centre de données, pour chauffer un bâtiment multirésidentiel qui a besoin de cette chaleur. Le rejet de chaleur d’une zone devient l’intrant pour le voisin. La mixité des usages joue un rôle important dans la planification, qui devra être effectuée très tôt et de manière étroite avec tous les intervenants du projet.
Bien que plusieurs éléments techniques et économiques les distinguent, qu’on parle de boucle énergétique, de système énergétique de quartier (DES1) ou de réseau de chaleur urbain2, ces concepts s’appuient sur des bases communes : le recours à des systèmes efficaces, la récupération de chaleur, une diversité accrue des usages et des charges, et surtout, une planification minutieuse.
Avantages de la boucle énergétique
Cette solution présente plusieurs avantages, et ce, pour plusieurs des parties prenantes impliquées dans ce type de projet3. Le tableau ci-dessous dresse la liste de ces avantages (liste non exhaustive):
Intervenants dans le projet |
Avantages de la boucle énergétique |
Promoteurs |
· Performance énergétique accrue du projet · Perception plus positive du projet |
Clients (résidents et commerces) |
· Simplicité de gestion et d’entretien · Coûts énergétiques compétitifs |
Institutions (gouvernement, municipalités) |
· Objectifs énergétiques et environnementaux atteints · Meilleure planification du développement urbain |
Constructeurs, exploitants et partenaires financiers |
· Émergence de nouveaux modèles d’affaires · Meilleure répartition des risques financiers |
Avec ces avantages, de plus en plus de projets considèrent avec intérêt cette solution. D’ailleurs, selon les données provenant de l’International district energy association, cette tendance est en constante évolution depuis plusieurs années. Également, le Programme des Nations Unies pour l’environnement4 reconnaît l’importance des boucles et réseaux dans la transition vers l’énergie durable et en encourage le développement. Tout en étant en harmonie avec les stratégies environnementales et durables, ils profitent à l’ensemble des acteurs dans la création d’un projet. C’est un exemple d’économie verte et de résilience.
Défis de conception à relever pour concevoir une boucle énergétique
La conception de ce système est complexe, mais elle est faisable, surtout lorsqu’on sait sur quels éléments se concentrer. D’ailleurs, pour concevoir ce système, plusieurs ressources existent pour aider les concepteurs car réutiliser les concepts d’ingénierie mécanique appliqués dans les petits bâtiments commerciaux ne suffit pas. L’ampleur de ce type d’installation exige de la robustesse, et de fait, la configuration du système comportera plusieurs aspects propres aux boucles énergétiques.
Plus précisément, ainsi, la conception et l’installation requièrent des compétences particulières pour relever les défis soulevés, dont ceux liés à la tuyauterie et au mesurage de l’énergie. Les solutions adoptées devront prendre en compte les objectifs et contraintes liés à l’entretien et à l’exploitation des équipements effectués par l’exploitant du réseau. Par exemple, l’infrastructure choisie (accès en tunnels par rapport aux réseaux enfouis, mixité énergétique, températures de réseaux, etc.) sera étroitement liée au modèle d’affaires du projet, aux exigences d’exploitation et d’entretien, ainsi qu’au cycle de vie des équipements, autant d’éléments qui influeront grandement sur les aspects de conception.
Ressources utiles pour la conception technique
Il existe plusieurs articles et ressources pour aider à concevoir de tels systèmes. Le Handbook 20165 de l’ASHRAE donne un bon aperçu des principes techniques encadrant la conception de réseaux de chaleur. Pour plus de précisions, les guides District Heating Guide et District Cooling Guide, 2013 et les publications de l’International District Energy Association sont à consulter.
Quelques thèmes et enjeux techniques abordés dans les guides de l’ASHRAE :
Thèmes |
Quelques considérations essentielles |
Conception du réseau hydronique |
· Études et simulations détaillées à prévoir · Mécanismes de dilatation thermique · Pertes de pression · Dimensionnement de la tuyauterie |
Considérations thermiques |
· Isolation en adéquation avec les types de réseaux et les températures · Entretien et maintien d’actifs · Tuyauterie enfouie par rapport aux tunnels |
Dilatation thermique |
· Dimension de la boucle de dilatation · Section de conduites précontraintes |
Exploitation des équipements |
· Traitement d’eau · Entretien et remplacement (cycle de vie des équipements) |
Dans tous les cas, afin de bénéficier des avantages d’une boucle énergétique, il ne faut pas négliger d’avoir un calcul des charges adapté à cette solution. Il sera bon de prendre en compte la diversité des charges entre plusieurs espaces. Grâce au réseau et au partage des équipements, les systèmes conçus seront plus résistants et résilients, avec moins d’équipements de production de chaleur et de froid, comparativement à une l’installation traditionnelle où les équipements sont dédoublés dans chaque bâtiment. Les gains d’espace et d’entretien deviennent alors appréciables à l’échelle d’un quartier.
Également, à titre d’exemple pour la tuyauterie, il sera essentiel de tenir compte de la dilatation dans la conception du réseau. On rappelle qu’un tuyau type de 12 po pourrait nécessiter une boucle de dilatation de 15 pi x 31 pi, ce qui peut être complexe à intégrer dans un projet6. Le recours à des mécanismes de section précontrainte ou de compensation peut être considéré, mais chaque solution s’accompagne de son lot d’avantages et d’inconvénients7. Heureusement, bien que des stratégies traditionnelles alliant l’acier et l’isolation sur site soient encore utilisées, des options et tuyauteries spécialisées peuvent résoudre certains défis dans plusieurs projets en vue d’abaisser les coûts de projets ou de simplifier la réalisation afin d’assurer des installations robustes et durables8.
Défis de mesurage et contexte d’opération
Pour bien des projets, le mesurage joue un rôle clé afin de facturer adéquatement l’énergie thermique consommée par les divers utilisateurs de la boucle d’énergie.
Au Québec, les projets de boucles énergétiques se réalisent actuellement dans un cadre non réglementé, c’est-à-dire qu’aucun organisme n’encadre la tarification et le cadre d’exploitation. Si cet aspect ne pose aucun problème pour un centre hospitalier ou un campus universitaire qui possède ses propres installations, il peut devenir un enjeu dans la vente ou la fourniture d’énergie à des tierces parties.
Un comité de Mesures Canada travaille actuellement à bâtir le cadre réglementaire du mesurage de l’énergie thermique des boucles énergétiques. Les premières ébauches obtenues font référence à des normes existantes et à l’utilisation des normes C-900 et EN1434. Toutefois, Isabelle Picard, ingénieure et directrice du Centre des technologies à gaz naturel (CTGN), qui a travaillé au sein du comité technique sur le sujet, appelle à la vigilance : « La norme EN1434 vient de subir une grande refonte en Europe. Il ne suffira probablement pas de stipuler le respect à l’EN1434 pour être conforme […] ». La publication d’un règlement canadien serait prévue en 2021, laissant jusqu’à 2026 pour s’y conformer. Des précautions devraient être prises par les concepteurs, puisque des correctifs pourraient être requis, même dans le cadre des projets plus récents. Cela suppose d’adopter les meilleures pratiques en usage aujourd’hui, de bien maîtriser les concepts de classes de mesurage et la gestion des erreurs de mesure en rapport avec la réglementation énergétique. Des remplacements d’instruments de mesure pourraient également être exigés à court ou à moyen terme.
Vision à long terme et concept évolutif
La revue d’un grand nombre de projets permet rapidement d’observer qu’il existe une panoplie de stratégies et de solutions et qu’il n’y a pas de solution unique à adopter. Plusieurs facteurs externes favorisent différentes solutions, dont le contexte énergétique, législatif et réglementaire, régional, etc. D’un point de vue interne propre au projet, le groupe de partenaires de la boucle et la vitesse de construction viendront influer sur le modèle du projet.
Certains concepts semblent toutefois avoir des fondements communs :
- Une vision à long terme : l’analyse et la prévision des besoins énergétiques doivent se faire sur une très longue période. Les paramètres énergétiques, démographiques, immobilières et autres doivent généralement se faire au-delà du cycle de vie du système. Il n’est pas rare que le plan de projet s’étende sur 40 à 50 ans et dépasse l’horizon de 2050.
- Résilience, performance et combinaison énergétique : La robustesse et la résilience d’un système énergétique urbain reposeront sur des sources énergétiques diverses, intégrées et modulées tout au long de la vie du système énergétique. De plus, la génération de chaleur (ou de froid) à partir d’une chaufferie urbaine permet généralement l’implantation de technologies plus robustes et l’application de pratiques d’exploitation et d’entretien meilleures qu’il ne serait possible d’obtenir en investissant dans des systèmes, à plus petite échelle, de bâtiments individuels. La génération de chaleur décentralisée est généralement plus efficace et performante que celle d’équipements installés dans des bâtiments isolés, ce qui en réduit l’impact environnemental9.
- Diversité et récupération de chaleur : une boucle permettra généralement de tirer le meilleur de chaque source d’énergie. À titre d’exemple, au Québec, il ne serait pas surprenant d’avoir une stratégie profitant de la robustesse et de la puissance de chauffage offerte par le gaz naturel, tout en utilisant aussi la performance des technologies de thermopompage. Si ces deux sources d’approvisionnement sont les bases du concept, on devrait tout de même s’attendre à ce que le plan d’opération vise l’intégration de sources renouvelables en temps venu, qui auront chacune leurs forces diverses (biomasse, solaire, récupération de chaleur de centres de données ou des eaux usées, etc.).
- La boucle énergétique doit être évolutive : elle doit pouvoir intégrer de nouvelles technologies performantes. En effet, le projet devra respecter un équilibre en maximisant les besoins énergétiques évolutifs et en bénéficiant de toute nouvelle technologie utilisant l’énergie renouvelable. On prendra ainsi le meilleur de chaque source énergétique, sur l’ensemble du cycle de vie du projet. Si les avantages sont nombreux et favorisent la construction de boucles et réseaux à petite échelle, plusieurs éléments ralentissent l’adoption des boucles énergétiques à grande échelle dans le contexte québécois. Heureusement, plusieurs experts étudient cette solution, tout comme une équipe multidisciplinaire associée à l’institut de l’énergie Trottier (Polytechnique, Université de Montréal et Université McGill) « […] qui s’attaque conjointement aux barrières technologiques, socioprofessionnelles, politiques et juridiques. L’objectif à long terme est de réaliser le potentiel des réseaux de chaleur pour contribuer au redéveloppement urbain et créer des quartiers mixtes, compacts, diversifiés et efficaces – en un mot, durables. »9.
Une solution qui gagne à être connue
Si les avantages sont nombreux et favorisent la construction de boucles et réseaux à petite échelle, plusieurs éléments ralentissent l’adoption des boucles énergétiques à grande échelle dans le contexte québécois. Heureusement, plusieurs experts étudient cette solution, tout comme une équipe multidisciplinaire associée à l’institut de l’énergie Trottier (Polytechnique, Université de Montréal et Université McGill) « […] qui s’attaque conjointement aux barrières technologiques, socioprofessionnelles, politiques et juridiques. L’objectif à long terme est de réaliser le potentiel des réseaux de chaleur pour contribuer au redéveloppement urbain et créer des quartiers mixtes, compacts, diversifiés et efficaces – en un mot, durables. »9.
Auteurs:
Nathalie Bouchard, ing., Conseillère DATECH, Technologies et efficacité énergétique chez Énergir
et Mathieu Rondeau, ing., CEM, CMVP, LEED AE®, Conseiller DATECH, Technologies et efficacité énergétique chez Énergir
Références:
- Système énergétique de quartier: traduction libre pour « District energy system » ou DES.
- Nomenclature arbitraire pour les fins de l’article.
- Répartition arbitraire des rôles : plusieurs modèles de division des rôles sont possibles en fonction du type, de la taille, du secteur de projet.
- Réseaux urbains de chaleur et de froid, Libérer le potentiel de l’efficacité énergétique et des énergies renouvelables, Programme des Nations Unies pour l’environnement, 2015
- 2016 ASHRAE Handbook – HVAC Systems and equipments, chapter 12 District heating and cooling
- “Targeted DPS Design for Cities, System Expansion and Modernization”, Présentation IDEA2018 par Kristin Wild, M.A.Sc, P.Eng, KERR WOOD LEIDAL consulting engineers
- Nolder Elizabeth and Pollard Stephen, “Underneath the ivy”, Direct Energy Magazine/ First Quarter 2018. URL: https://www.districtenergy.org/blogs/district-energy/2018/01/16/underneath-the-ivy
- http://iet.polymtl.ca/projets-finances/reseaux-de-chaleur-de-4e-generation-quartiers-durables/
- 2015 ASHRAE Handbook – HVAC Applications, Chapter 12 District heating and cooling « Generating thermal energy from a central plan is normally more efficient than using in-building equipment (i.e. a decentralized approach) and thus reduces environmental impacts. The greater efficiencies arise because of larger, more efficient equipment and ability to stage that equipment […]”
Source:
Groupe DATECH d’Énergir, Informa-TECH, Volume 83, numéro 02, octobre 2019