Où sont les murs solaires ?
En tant que concepteur mécanique responsable, je m’efforce d’intégrer, dans la mesure du possible, des murs solaires sur l’ensemble de mes conceptions. Lorsque cette technologie est présentée aux architectes et aux propriétaires immobiliers en début de projet, les chances de voir un mur solaire s’ériger sur un mur sud sont excellentes. Connait-on des désavantages aux murs solaires ? Certes, on a tous vu quelques horreurs d’intégration, mais il s’agit de cas bien isolés. Règle générale, le souci du détail combiné avec de meilleures connaissances du produit auprès des architectes font en sorte qu’il est maintenant possible d’intégrer de mieux en mieux les murs solaires aux autres parements. Y aurait-il seulement des avantages à implanter des murs solaires ? Évidemment, l’avantage prépondérant d’ajouter un mur solaire à un bâtiment est sans contredit la réduction significative de la consommation énergétique reliée au chauffage de l’air neuf. Dans certains cas, lorsque des revêtements dispendieux sont proposés, il peut arriver qu’un mur solaire tend à réduire les coûts globaux d’une enveloppe de bâtiment. Je repose ma question de manière différente. Y aurait-il seulement des avantages à implanter des murs solaires ? Peut-être que oui… et des avantages qui ont un impact monétaire important sur le cycle de vie global du bâtiment. Diantre ! Pourquoi si peu de mur solaire installé sur les nouvelles constructions ?
Je crois avoir bien ciblé les principales raisons qui expliquent ce phénomène. Voici les quatre (4) raisons pour lesquelles encore si peu de murs solaires sont installés dans de nouvelles constructions.
1. La méconnaissance d'une technologie si simple
Les premiers manufacturiers de mur solaire ont fait leur apparition sur le marché québécois il y maintenant plus de 10 ans. Malgré l’interminable bataille des brevets, on compte aujourd’hui plusieurs manufacturiers pouvant offrir différents types de murs solaires. Le mur métallique ondulé et perforé est toujours très populaire, mais nous avons vu arriver au fil des années, des variantes telles que le mur métallique non perforé avec prise d’air dans la partie inférieure du mur et le mur perforé transparent en polycarbonate. Chaque type de mur possède des performances et des caractéristiques intrinsèques. Saviez-vous que la performance de l’échange thermique du mur perforé est influencée par les vents[i] ? Saviez-vous que le mur non perforé est souvent le moins dispendieux et est souvent proposé pour des bâtiments agricoles ? Saviez-vous que le mur transparent en polycarbonate offre les meilleures performances thermiques ? Les concepteurs se doivent de connaitre ces différences fondamentales afin de proposer les meilleurs murs solaires pour chaque application. Ceci n’est pas tout. En réunion de conception intégrée, lorsque les discussions s’animent autour de l’implantation d’un mur solaire, deux questions fondamentales surgissent à coup sûr : Le mur peut-il être d’une autre couleur que noire ? Le bâtiment n’aura pas de mur franc sud, peut-on l’installer le mur selon une autre orientation ? Pour ces deux questions, les réponses sont les mêmes : oui, mais…
La couleur du capteur thermique est directement proportionnelle à la qualité de chaleur extraite du mur. C’est une question d’absorption optique. La couleur noire offre la meilleure performance avec une absorption optique de l’ordre de 95%. Ceci étant dit, d’autres couleurs, telles que le vert forêt et le bleu royal, offrent des performances surprenantes avec une absorption optique respective de 91% et de 90%. Le rouge foncé offre des performances beaucoup moindres avec une absorption optique de l’ordre de 75%. Même les couleurs pales, soit le beige et le blanc, captent une certaine quantité de chaleur, mais avec des performances très réduites. Il est fortement recommandé de rester dans des couleurs foncées avec une absorption optique supérieure à 75%. Plusieurs manufacturiers présentent les performances des différentes couleurs dans leurs littératures techniques.
L’orientation (l’azimut) et l’inclinaison (α) sont les autres paramètres statiques influençant la performance d’un mur solaire. Pour la majorité des applications, l’inclinaison est de 90°, soit un mur dit à l’équerre. Il serait possible d’augmenter la performance du mur en inclinant celui-ci vers le ciel afin de capter davantage de rayonnement solaire. Par contre, cette inclinaison impose un casse-tête technique aux architectes autant du point de vue de l’aménagement que de l’infiltration possible d’eau. Prenons pour acquis que les murs sont toujours à 90°. À l’aide du logiciel RETScreen 4 développé par RNCan/CanmetÉNERGIE, il est très facile d’évaluer le rayonnement solaire selon différentes orientations. Le graphique suivant présente le rayonnement solaire selon différentes orientations pour la Ville de Québec.
Figure 1 – Rayonnement solaire des mois d’hiver selon l’orientation
Bien évidemment, on constate qu’une orientation franc sud est souhaitable. Étonnamment, une orientation sud-est ou sud-ouest est également valable avec une perte de rayonnement d’environ 30%. Le concepteur mécanique doit connaitre ces éléments techniques afin de conseiller adéquatement l’équipe de design.
2. La résistance aux changements
Ce phénomène naturel est un frein considérable à la pénétration de l’innovation. De par mon expérience, j’ai constaté que la résistance au changement est très souvent directement proportionnelle aux années d’expérience. Cette constatation est confirmée par Mme Céline Bareil, professeure agrégée, service de l’enseignement du management au HEC Montréal qui mentionne que l’âge est une des six (6) causes de la résistance au changement[i]. Attention, je ne veux pas tomber dans la démagogie ou dans les généralités grossières, mais c’est une évidence qu’il est beaucoup plus difficile de convaincre une équipe de conception formée de sénior d’intégrer un mur solaire. Pourquoi ? Simplement la peur de l’échec. Comme concepteur, on a tous vécu des situations où la performance escomptée de certains éléments n’était pas au rendez-vous. Cette situation nous hante et nous colle à la peau pendant plusieurs années, surtout dans un petit marché comme Québec. Dans tous les cas, il s’agit d’une simple gestion du risque. Lorsque l’on se fait présenter une technologie que l’on connait peu, inconsciemment, nous faisons une analyse de risque dans notre subconscient. Mais pour un mur solaire, où est le risque ? Il s’agit d’un dispositif statique, dit passif, fiable et très peu influencé par des éléments externes. S’il y a du soleil, les performances seront aux rendez-vous ? Je n’ai pas besoin d’aller consulter le Bulletin des Agriculteurs pour vous prédire qu’il y aura du soleil cette année ! Encore une fois, où est le risque ? Force est d’admettre que le risque est plutôt faible, voire même inexistant. Bien entendu, le concepteur mécanique devra dimensionner le mur adéquatement en fonction du débit d’air neuf introduit et considérer la perte de pression statique associée au mur (c’est pour cette raison que je ne peux pas vous dire que cette technologie est 100% passive). Il est également nécessaire de prévoir une persienne de contournement pour la saison estivale.
Trop de concepteurs mécaniques croient qu’en ajoutant un mur solaire sur un système dédié d’air neuf, les économies associées au dispositif de récupération air-air inclus dans l’unité seront réduites. Voici ma réponse : Installer un dispositif de récupération de chaleur air-air dans une unité dédiée d’air neuf, c’est la référence. Vous ne faites pas de l’efficacité énergétique, vous faites seulement vous conformer à la loi (Règlement sur l’économie d’énergie). En ajoutant un mur solaire, vous débutez le processus d’efficacité énergétique, car vous dépassez les exigences minimales de la loi. Qui plus est, il faut voir l’unité de ventilation comme un tout. Au final, l’ajout du mur solaire réduira la consommation totale du système.
Pour ma part, la meilleure solution pour vaincre la résistance aux changements est d’en parler avec passion et conviction. La passion est contagieuse. On se laisse naturellement séduire par des individus passionnés avec des compétences techniques irréprochables. Parlez-en avec le feu dans les yeux !
3. Le manque d'implication des ingénieurs mécaniques dans l’élaboration de la volumétrie du bâtiment ou le manque d’écoute des architectes lorsqu’il est question de concept architectural
Si l’ingénieur mécanique se joint à l’équipe de conception et que la volumétrie du bâtiment est déjà fixée, les chances de pouvoir intégrer un mur solaire diminuent de manière significative. L’ingénieur mécanique doit s’impliquer au premier balbutiement du projet. S’impliquer est une partie de la solution. Il faut également guider rapidement l’architecte sur la superficie visée par le mur solaire. Ceci est plutôt facile. Ayant une idée de la superficie du bâtiment et du nombre d’occupants, il est possible d’évaluer rapidement la superficie désirée. Plusieurs ingénieurs mécaniques proposent des murs solaires avec un ratio d’environ 7 pcm/pi2. Pour certains types de murs solaires, ce ratio maximise l’efficacité de l’échange thermique. Vous pouvez décider de réduire ce ratio, afin d’augmenter le différentiel de température d’air. Ceci impliquera une plus grande superficie de mur solaire.
À défaut d’avoir un ingénieur soucieux des performances énergétiques du bâtiment et qui propose des solutions innovantes, l’architecte doit provoquer la discussion. Allouez d’amblée une superficie de mur sud pour un éventuel mur solaire. Forcez la discussion. Posez des questions aux ingénieurs. Exigez des concepts mécaniques pouvant intégrer facilement un mur solaire. C’est une solution gagnant-gagnant.
4. Une incapacité « de vendre » cette technologie efficacement en cours de conception
Afin de pouvoir convaincre l’équipe de conception ou même un propriétaire immobilier d’implanter cette technologie, vous devez dans un premier temps y croire personnellement. Pour ma part, je trouve qu’il s’agit de l’élément le plus simple à vendre dans un concept d’avant-projet. L’équipement ne demande pas d’entretien, la fiabilité est assurée, la performance est garantie et les subventions sont très généreuses. Saviez-vous que dans la région de Québec, chauffer un pi³ d’air à la minute (1 pcm) coute environ 1.5 $[i] Un mur solaire type sera en mesure de réduire la consommation énergétique d’un maximum d’environ 20%[ii]. Les chiffres présentés ici sont un peu simplistes, car ils ne tiennent pas compte de l’installation d’un dispose de récupération air-air ni des effets de cascades. Ça demeure une bonne base pour amorcer les discussions.
Selon moi, l’argument de la réduction de la consommation énergétique est suffisant pour convaincre les plus endurcies.
En 2016, la conception de tout nouveau bâtiment institutionnel devrait considérer l’analyse d’un mur solaire. Il est évident que la pénétration des murs solaires au niveau du marché des bâtiments commerciaux est plus difficile. La bonne vieille recette d’une unité monobloc de toiture (appelée communément un rooftop) avec des plinthes électriques périmétriques est là pour rester pour encore plusieurs années. En espérant que cet article aura trouvé écoute et qu’un plus grand nombre de bâtiments puissent jouir des avantages des murs solaires.
Références
[1] SOLAR RATING & CERTIFICATION CORPORATION, données extraites du certificat de test le protocole de test OG-100. http://www.solar-rating.org/certification_listing_directory/transpired_2011124A_20150730.pdf
[2] Mme CÉLINE BAREIL, Cahier no 04-10 – Août 2004, la résistance au changement : synthèse et critique des écrits.
[3] CALCULS ÉNERGÉTIQUE RÉALISÉS PAR L’AUTEUR EN UTILISANT LES HYPOTHÈSES SUIVANTES : Aucune récupération air-air, un horaire d’opération du système CVCA de 60 heures/semaine, chauffage au gaz naturel avec un rendement de combustion de 80 %, un prix énergétique de 40 ¢/m³ et une température d’alimentation neutre de 72°F
[4] PERFORMANCE CALCUL AVEC L’OUTIL RETScreen 4. http://www.rncan.gc.ca/energie/logiciels-outils